J’ai à coeur de vous partager mon vécu dans une Tariqa soufie.
J’étais inscrite au festival de culture soufie à Fès, et malgré son annulation à cause du tremblement de terre, j’ai décidé de maintenir ce voyage avec mon amie Bernadette. Et je remercie ce changement de programme qui m’a conduite au coeur d’une Tariqa soufie pendant une semaine.
La Tariqa Boutchichiya
Il s’agit de la Tariqa Boutchichiya à Madagh au nord-est du Maroc dans la province de Berkame, dans une région agricole à deux pas de la frontière algérienne. C’est en sorte la zaouia (lieu spirituel) qui regroupe toutes les zaouias de cette lignée soufie de la voie Qadiriya Boutchcichiya. Son guide spirituel est Jamal al Qadiri al Boutchichi. C’est une confrérie soufie très connue et représentée à travers le monde.
Des soufis qui ne tournennt pas
Ces soufis n’ont pas les mêmes pratiques que les soufis Mevlevi de Turquie et ne pratiquent pas la danse des derviches tourneurs, et en me rendant au Maroc mon désir était de partager avec ces hommes et ces femmes. Alors je ne vais pas vous apprendre plus sur la pratique de la danse soufie mais sur les chants soufis, et surtout sur mon expérience personnelle.
Témoignage
J’ai vécu essentiellement avec les femmes, au rythme des prières, des chants et de la vie communautaire. Alors je vous retranscris quelques unes de mes notes et vous témoigne.
Se laisser glisser hors du temps
« Se laisser glisser hors du temps sans repère et sans volonté de capter le fil du temps. Rentrer dans cette spiritualité de cœur, au milieu de toutes ces femmes qui partagent le même amour pour le père spirituel de la zaouia. Ici les journées sont rythmées par les temps de prières, les repas et les temps de repos. Petit à petit comprendre le fonctionnement de ce lieu est un exercice de découverte intense, observer et laisser venir, ne pas chercher à comprendre. Ouvrir le regard vers cet ailleurs qui révèle la beauté des cœurs.«
Au delà de la différence
« J’entends le ressac de mon cœur bercé par tous ces chants. Nulle spiritualité parfaite, des convictions, des croyances, des parfaits et des plus-que-parfaits. Tout est imparfait sur cette terre, y compris cette Tariqa avec laquelle je partage mes journées. Revenir chez Soi dans tous ces partages et se sentir à la bonne place, le regard plus ouvert vers mes frères soufis. C’est un sacré exercice de forme, moi chrétienne, de chanter Allah toute la journée et de prier avec eux à travers ablutions et rituels. Je ne vois pas de différence pourtant…Là où le cœur rayonne le divin est là, et je me vois mal ramener ces femmes à Jésus, elles ont Jésus, sont des Maries en puissance. Toujours une main tendue pour vous servir, vous donner le meilleur de l’hospitalité. Moi je viens de France et vis dans l’abondance et pourtant me sens semblable, voire dépourvue à certains instants devant tant de générosité.«
Au coeur de la nuit d’une zaouia
« Cette nuit les femmes se sont couchées bien tardivement et leurs rires fusent et éveillent les dormeurs. Et à 6h l’appel à la prière, des frappes dans les mains, on ouvre la lumière et les femmes s’étirent pour se rejoindre dans un coin de ce grand dortoir, pour égrener le Coran et leurs chants rythmés ou Dikhrs. Alors l’espace commence à vibrer et à éveiller les dormeurs, je m’assois lentement, enroulée dans ma couverture.«
La Wadifa ou prière du soir
« Tous les soirs le Zikhr ou Dikhr de la wadifa chante ses litanies avec une vigueur et un rythme qui élève l’énergie au plus haut degré, laissant place libre à l’expression de l’être et du trop-plein des cœurs. Ce soir Nacira me prête son carnet et je peux suivre les paroles arabes, du moins les lire, tellement rapide, je lâche cette lecture ardue. Dernier soir de mon immersion à la Zaouia, les larmes déploient leur grande vague et je laisse déverser le trop-plein d’ancien qui remonte comme une lame de fond. Soupirs, sanglots entrecoupés du son d’Allah et des Yalatif. Au fil des jours ces sons s’engramment intensément dans mon corps. «
Des prières et des chants jour et nuit
Oui la zaouia vit au rythme des prières des hommes et des femmes, à des horaires qui se succèdent sur 10 heures de chant, de sorte que tous les espaces sonores et vibratoires respirent la musique de ces chants. J’aime entendre la voix puissante des hommes.
Nouvelle nuit à la zaouia
« Et cette nuit après un nouveau repas tardif, les femmes dans ce grand dortoir s’animent. Le sommeil ne semble pas les guetter, et la discussion grandit. Elles sont oublieuses des dormeuses qui accueillent cette nouvelle musique comme un doux ronron aux intensités changeantes. Ce matin après leurs discussions animées, les dormeuse sont restées bien calmes et Naïma n’est pas venue les réveiller pour la prière du matin. «
Mes soeurs de la nuit
« À 5h du matin, ma voisine se lève, tire le rideau et écoute le chant des hommes. Puis revient vers son espace, et commence ses salutations avec une ferveur nouvelle. La nuit ici dans notre grand salon aux banquettes marocaines de couleur rouge mordoré est une véritable traversée. Trouver le sommeil, s’éveiller, suivre la silhouette de ces femmes durant leurs prières nocturnes, et plonger à nouveau dans le sommeil, un réveil qui s’oublie, la voix du muezzin qui s’élève en un chant d’une beauté éblouissante. Je m’assois moi aussi et comme une mère allaitant son enfant, je m’abandonne au rythme des femmes toutes tournées vers le bien-aimé et le mystère de la nuit.«
Les sons qui tournent dans mon corps
« Ce matin je vois dans la pénombre Esma qui se lève et revient en tenant entre ses mains une coupelle pour ses ablutions. J’aime écouter ces chants, et j’ai une préférence pour ceux des hommes avec qui nous ne partageons pas, sinon paraît-il lors de certaines cérémonies. Après des rêves colorés, nouveau réveil, et en moi le chant des hommes résonne et tourne sans fin.Je tends l’oreille , non le silence est là et les femmes se sont toutes profondément assoupies après leur rituel matinal. Au fil des jours la musique de ces litanies remplit mes cellules et tout l’espace de mon corps. Et ce dernier soir, dernier Dikhr mené par la poigne énergique de notre ‘maîtresse » de dikhr. Je commence à reconnaître les mélodies et les sonorités. Je laisse ma bouche sortir les sons de cette langue arabe inconnue. Et je fredonne, laisse mon corps m’emporter dans un balancement amplifié, et le son sort, propulsé dans une nécessité impérieuse. Les femmes me sourient et je lis sur leurs lèvres. Sourire de ma voisine qui entend mon chant et ma diction fort approximative… La joie est là et je scande avec le cœur des femmes ces prières ancestrales, réunies dans une même foi, le cœur tout entier tourné vers cet autre Moi. »
Une vision élargie sur le soufisme
Je rentre de ce voyage avec une vision plus élargie sur le soufisme. Je sens que cela est important de transmettre la danse soufie en ayant l’honnêteté de partager cette voie spirituelle. Je pense que ce n’est pas dans les livres que je vais vraiment la vivre mais dans la rencontre avec ces hommes et ces femmes. Je me sens dépouillée, lavée. Comme de regarder plus loin et et voir le monde dans son entièreté en prenant de la hauteur.
bonsoir Claire,
Merci pour ce merveilleux témoignage de ton aventure dans le Tariqa soufie.
Ton partage me laisse entendre une peu de frustration en ce qui concerne la non possibilité de partager les chants avec les hommes. Si c’est le cas, je te comprends, de leur danse comme de leur voix peuvent s’élever quelque chose d’une puissance qui peut, personnellement, m’emporter dans une autre sphère. J’ai eu l’occasion de déplorer que cela ne soit pas partager avec les femmes (je suis française et la culture et peut être la conscience, est autre).
La puissance de la vie a beaucoup de canaux pour passer… est-ce une censure ou est-ce juste ?
Je t’embrasse Claire et garde un bon souvenir de notre rencontre ainsi que celle avec François.
Belle poursuite à vous deux.
Huguette
Merci de ton précieux retour Huguette. Alors j’ai été vraiment heureuse de partager avec ces femmes au quotidien. Je croisais les hommes dans la zaouia dans d’autres temps, et j’ai respecté leur tradition en étant moi l’étrangère qui m’était invitée. Je ne suis pas sentie coupée des hommes car leurs chants remplissaient l’espace de leur pratique et résonnaient dans toute la zaouia. C’est une autre culture, et je l’embrasse totalement quand je suis dans ces pays, c’est ok pour moi, cependant j’aime la puissance de leurs chants. Avec la joie de te revoir prochainement, inchallah!
Merci de ce beau témoignage qui me relié à ces moments forts partagés avec ces femmes de culture Marocaine. Leurs simplicités, leur accueil, le partage du quotidien, les repas autour d un même plat, un bout de pain comme cuillère dans la main, les nuits dans la même grande pièce confortable, les chants, les prières, les dikrs, les temps d attente et de repos. Il m en reste un sentiment de pure joie. Une connection direct avec le sacré, le divin, l amour incommensurable.
Je n ai jamais eu le sentiment de devoir être quelqu un d autre. Toutes différentes et accueillies, appréciées dans notre différence.
Merci Bernadette, soeur de voyage, de partager ton témoignage et donner toi aussi ton retour sur cette semaine passée ensemble à la zaouia. Oui cela me parle d’avoir été appréciées dans notre différence. Nous avons été accueillies comme des soeurs, et en cela je trouve le chemin soufi plein d’amour et de tolérance.
Bien que séparés physiquement, la présence des hommes étaient omniprésente: nos nuits étaient bercées par leurs chants fervents, et la journée, quand je me promenais dans le centre qui est un vrai village, des familles, une école, des maisons sortaient encore leurs voies et chants vers Dieu.Nous mangions des plats préparés par les hommes de la communauté. Quand je les croisaient, ils étaient simplement aimables et respectueux. Ils entretiennent de façon agréable les lieux, qui sont très beaux et propres. Nous bénéficions en tout point de leurs présences, nous avions alors tout notre temps pour nous interioriser, prier, chanter, partager. Je les en remercie. Bernadette